Octobre 2011 : une idée me trotte dans la tête. Moi qui suis un autodidacte, qui n'ai pas fait d'études autres que ce que j'appelle "l'école de la vie", qui suis sérigraphe à mon compte depuis 18 ans sans avoir le moindre CAP (mais j'ai siégé une quinzaine d'années au CA de l'Ecole des Métiers de l'Imprimerie de Nantes, école formant... les CAP de sérigraphie !), qui j'ai brillamment échoué au bac en 1977, je n'ai donc pas le moindre diplôme en poche. Cela ne m'a jamais manqué, ni professionnellement, ni dans ma tête, mais si, pour le fun, pour le plaisir, par esprit de contradiction (avoir un diplôme... qui ne me servirait à rien !), si, donc, je m'amusais à passer un CAP, à 53 ans ?
Renseignements pris, je m'inscris donc, avant le 15 novembre, en candidat libre. Damien, un "collègue" bénévole s'inscrit également, comme ça on préparera et passera ensemble les examens. Dans l'équipe des bénévoles, une fille vient de rentrer, qui a passé son CAP il y a 2 ou 3 ans : elle nous prêtera ses cours, merci encore à Christine pour ce prêt très utile.
Et là, je découvre ce qu'est la préparation d'un examen, y compris d'un CAP, dont la préparation est d'un niveau très supérieur à l'examen lui-même : l'optique, l'acoustique, l'électricité, l'électronique, tout y est poussé jusqu'à un niveau assez élevé, largement ce que j'avais comme souvenir au bac. Par exemple, étudier un montage d'alimentation en tri-phasé avec 3 redresseurs basse tension en parallèle, et bien je ne savais pas que ça existait, et pourtant le cinéma (la lampe, le Xénon comme on dit) peut avoir ce besoin, pour les très hautes intensités, genre 7 Kw, qui déséquilibrerait une installation monophasée (désolé, on est un peu loin du 16 mm amateur...)
J'apprends donc tout un tas de choses passionnantes, d'autres nettement moins, mais utiles toutefois (un cinéma est un ERP, Etablissement Recevant du Public, on doit donc connaître toute la législation sur les ERP, le projectionniste étant responsable de sa salle, qui peut être un complexe de plusieurs centaines de personnes). Et puis le CAP que nous préparons est double : à la fois numérique et 35 mm, on doit donc apprendre le numérique, alors qu'on n'est pas encore équipé...
Et là, heureusement, la solidarité artisanale, ce que j'appellerai le corporatisme positif, que l'on retrouve dans chaque métier, intervient : pas un cinéma, pas un complexe, un cinéma associatif, un projectionniste itinérant ne refusera de faire visiter sa cabine, de montrer son système, son matériel, et donc nous avons passé plusieurs après-midi (les week-end, le jeudi de l'Ascension même) dans les cinémas de la région, avec toujours des personnes disponibles, nous donnant des bonnes informations. J'en profite pour remercier au passage toutes ces personnes : Cyril, Cédric, Emmanuelle, Jean-Paul, Françoise et d'autres dont je n'ai pas retenu le prénom, des cinémas de Nantes et des environs de Nantes, le Loroux-Bottereau et même Talmont St Hilaire.
Puis le mois de mai 2012 arrive, avec les convocations aux examens (il y a en a 5 pour moi car, n'ayant pas le moindre diplôme, je ne suis pas exempté de la culture générale, je dois donc passer des épreuves de français, d'histoire-géographie, de maths/physique, de chimie). Ces épreuves... ne le furent pas, à vrai dire, j'ai même "éprouvé" un certain plaisir à attendre dans les couloirs, avec des jeunes qui passaient leur CAP de plombier, plaquiste, coiffeur, certains anxieux, bien sûr, moi serein. Evidemment j'intriguais et les candidats, et les surveillants ou les examinateurs.
Damien (directeur d'école) a croisé un de ses anciens élèves. Moi, j'ai croisé le jeune qui préparait son CAP de sérigraphie en alternance... dans ma société. Et là, pendant le passage de ces examens, et bien je n'ai pas honte de dire que j'ai connu l'angoisse de ne pas réussir. Non que je ne sois pas sûr de mes connaissances (celles en numérique étaient un peu incomplètes, car sans réelle pratique), mais tout simplement alors que nous (Damien et moi-même) nous y étions inscrits en se disant "Bon, on ne risque rien, ce n'est pas grave si on ne l'a pas", et bien 8 mois après tous les amis, toute la famille, toutes les 55 personnes de notre cinéma, tous les salariés de ma société (qui ont tous leur CAP !) et... tous les profs, confrères, administratifs de l'Ecole des Métiers de l'Imprimerie de Nantes savaient que "Pierre passe un CAP de projectionniste". Pas l'air fin, le Pierre, s'il échoue... Le 5 juillet, un coup de fil m'informe la "grande" nouvelle : nous l'avons !
Ouf, je suis fier, probablement de la même fierté que mon collaborateur Vincent qui, en passant son CAP de sérigraphie en candidat libre alors qu'il était en reconversion par un Contrat de Qualification Professionnelle dans mon entreprise - et ayant un Bac +3 - m'a déclaré que ce CAP était le diplôme dont il est le plus fier.
Si je suis aussi bavard à propos de tout cela, c'est parce que j'aime montrer et encourager d'autres personnes (à mon âge, je dois dire les jeunes) à vivre leur passion, à prouver que l'on peut y trouver de nombreuses satisfactions, personnelles, intellectuelles, relationnelles, sociales, que l'homme n'a jamais fini d'apprendre, que l'on peut vivre sans diplôme, mais aussi que préparer un examen est enrichissant, que le partage d'une passion au travers d'une association est quelque chose d'exceptionnel, qui ne s'enseigne qu'à l'école de la vie, l'école que chacun peut se façonner selon ses moyens en temps, volonté, mais qui ne s'apprend ni à l'école, ni même à la maison (en ce qui me concerne, mes parents étaient réfractaires à toute association, tout partage, tout humanisme, tout échange. Je pense m'en être bien sorti !)
Depuis août 2012, la grande révolution du numérique est également passée dans ce cinéma : quasiment plus du tout de 35 mm, mais un projecteur numérique superbe (Christie 2220) a été monté à coté de notre bon "vieux" Cinémécanicca Victoria V, avec toute la panoplie de serveurs, PC de commandes, réseau obscur et système 3D actif.
Comme bon nombre de projectionnistes, l'adaptation s'est faite relativement facilement, avec comme un certain regret de cette magie des projecteurs traditionnels "à pellicule", capables à partir d'un simple film de sortir une image animée et le son synchro qui va avec...
Mais attention, il faut vivre avec son temps, et si l'on a perdu une partie du plaisir de la projection "classique", en revanche le numérique m'a apporté le plaisir de pouvoir faire soi-même des petits montages, des bandes-annonces pour des actions que l'association effectue, et le tout en qualité pro, avec de la haute définition.
Un peu de technique informatique : mis à part PhotoShop, je n'utilise que des logiciels de type Open Source, c'est à dire gratuits, développés par une communauté de programmeurs basée plus sur le partage que sur le profit. PhotoShop sert à travailler les images, et les amener à la définition exactement souhaitée pour le DCP que l'on veut faire (j'aime bien faire des BA en scope, juste pour le plaisir de projeter mon travail en salle, en plein écran. Je choisis alors une résolution de 858 x 2048 pixels, ce qui au passage permet même à partir d'un appareil photo peu onéreux d'avoir une projection superbe. Un petit travail sur l'image, un recadrage, et l'image est prête. Au niveau de la plateforme, j'utilise un Macintosh bien sûr, soit portable, soit de bureau. Et puis après j'utilise MPEG StreamClip, Audacity pour le son, et OpenDCP pour assembler le tout. C'est là qu'il faut un Mac assez rapide, car on se retrouve vite à gérer des milliers, voire des dizaines de milliers de fichiers à gérer. Il y a de routines pour ça, des astuces parfois, mais on reste à faire du cinéma, en 24 ou en 25 images par seconde, donc en 24 ou en 25 fichiers par seconde.
Fabriquer son propre petit DCP soi-même, avec une qualité d'image incomparable, faire ses images et les voir après projetées sur grand écran, même si je m'écarte un peu de l'aspect collectionneur qui est l'objet principal de ce site, je suis néanmoins toujours dans la projection, puissante, relativement facile et... créatrice (on n'hésite pas à se faire une bande-annonce pour faire un peu de pub, interne au ciné, pour la soirée Halloween ou notre festival de février !)
Technique :
Passionné de projections et d'informatique, tout en aimant faire revivre les vieux objets, j'ai eu l'idée de tester la possibilité de scanner des vieilles vues stéréoscopiques de mon grand-père qui avait rapporté ça de Verdun, puis de les monter dans un film numérique en haute résolution, en exploitant au maximum les possibilités du projecteur numérique dont nous sommes équipé.
Je les scanne, sépare les fichiers "œil droit" et "œil gauche", et en fait un film stéréoscopique (3D). C'est impressionnant, car j'exploite au maximum la hauteur de l'écran (1080 pixels de haut), et on se retrouve donc avec des images très grandes, et avec les lunettes actives, l’effet de relief est saisissant.
J’ai choisi de conserver l’authenticité de ces plaques de verres, aussi j’ai laissé intactes les différentes couleurs sépia, ainsi que les légendes dans l’ambiance parfois martiale de l’époque.
J'aime ce mélange des vieilles technologies (les vues sur plaques de verre en stéréoscopie existent depuis.. l'invention de la photo, vers les années 1850) avec la technologie très "up-to-date" de notre matériel de projection 3D, où règnent les logiciels, la manipulation d’une énorme quantité de fichiers, les transferts et autres manipulation afin d’obtenir le précieux DCP (Digital Cinéma Package), appellation du package informatique qui a remplacé les bobines de films.
Comme la mairie de la Chapelle Basse-Mer (là où j'opère comme projectionniste) organise en septembre toute une manifestation du souvenir à propos de cette guerre (avec Instant3D), j’ai donc proposé de réaliser un petit documentaire d’environ 80 diapos stéréoscopiques d’images fixes, en relief, plus quelques explications techniques réalisées en image par image en en stéréoscopie également, soit... 48 images/secondes.
La soirée a eu lieu le vendredi 19 septembre 2014 devant la salle comble au cinéma, salle Jacques DEMY à La Chapelle Basse-Mer autour de cette projection, une conférence sur le sujet a terminé la soirée.
Grande émotion lorsqu'à la fin de la projection, toute la salle a applaudi. Le sujet était assez grave, et ces vues très impressionnantes, voire choquantes ne se prêtant pas spécialement à des applaudissements, disons que je les ai un peu reçus comme adressés au travail que j'avais préparé...
J’ai bien cherché sur le net, dans les forums de projectionnistes : à ma connaissance, personne n’a eu l’idée d’exploiter avec cette technologie (complexe il est vrai) toutes ces images stéréoscopiques au cinéma. Les différents projets se limitent à l’impression sur papier avec le vert et le rouge décalés, que l’on peut regarder avec les lunettes avec filtres rouge et vert sur chaque œil. Au cinéma, les lunettes reçoivent des signaux de synchronisation émis par le projecteur sur l’écran qui obturent alternativement l’œil droit et l’œil gauche, évidemment en projetant sur l’écran l’image voulue au bon instant. Seules l’informatique et l’électronique permettent ça.
Réalisation :
4 mois environ de travail, pas à temps complet, bien sûr (j’ai un métier...), mais de bonnes soirées, week-end, vacances et journées, plusieurs séances de tests (les soirs vers 22h30, après mes soirées de projectionniste) afin de rechercher la meilleure qualité d’image ainsi que mettre au point le process de fabrication. Le tout sur un iBook 13’ Apple, avec PhotoShop Elements comme seul logiciel payant, tout le reste étant de l’Open Source glané sur le net.
Un scanner de diapositives Epson de bureau, prêté par un ami formateur PhotoShop, Yves Chatain, ravi de voir ce que l'on peut en tirer en projection "full screen"" dans un vrai de vrai cinéma, et 54960 fichiers plus tard (en oui, 24 images par seconde et par œil, ça monte vite !), le bébé était là, avec toute sa beauté (photographique) et ses horreurs (de la guerre)...
Pour les photos, par définition, ce n'est pas montrable en 2D classique, je vous montre donc le matériau de départ seulement. Pour voir en 3D dans un cinéma, me contacter...